L'édition des Rencontres Philosophiques d'Uriage sur le thème "Prisonniers du temps ?" initialement prévue en 2020 est reportée cet automne 2021 du 8 au 10 octobre.
Le programme est en cours de finalisation mais vous pourrez le retrouver sur le site des Rencontres qui s'est refait une beauté !
http://www.rencontres-philosophiques-uriage.fr/
Ci-dessous une présentation du thème et l'affiche.
La modernité se confond avec la vitesse et la vie moderne est en constante accélération. Jamais auparavant les moyens permettant de gagner du temps n’ont été aussi performants, grâce notamment aux moyens de transports et aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Et pourtant, jamais l’impression de manquer de temps n’a été si répandue, comme si nous n’étions plus maîtres de notre temps et de la manière d’en jouir. Il y a là un paradoxe étonnant : alors que l’accélération aurait dû libérer du temps et ralentir la pression temporelle, nous sommes en réalité pressés et accablés par la multiplicité des tâches. Dans toutes les sociétés occidentales, les individus souffrent du manque de temps et ont le sentiment de devoir courir toujours plus vite, de tout faire en urgence, non par pour accomplir plus de choses ou trouver une forme supérieure d’accomplissement, mais simplement pour pouvoir s’acquitter de leurs tâches et activités quotidiennes, parfois en pure perte. Pourquoi le temps nous échappe-t-il ainsi ? Comment comprendre cette nouvelle contrainte temporelle qui pèse sur l’individu et les sociétés ?
Qu’est-ce qui rend si pressé, si hors de lui, le lapin d’Alice au pays des merveilles ? L’urgence des instants qui se succèdent inlassablement en emportant ce que nous aspirions à être ? Ou la contrainte de la mesure par laquelle nous prétendons domestiquer le temps pour en faire un usage constructif et que la montre inséparable du lapin symbolise ? Ou les deux ? Mais alors il faudrait reconnaître que notre tentative de maîtrise du temps par la mesure quantitative est un échec tout à fait pernicieux : la mesure humaine ajoute à l’inexorable dépossession de soi la contrainte d’une construction orientée non par nous-mêmes mais par tel ou tel intérêt qui organise et finalise la durée. Ce fut longtemps le rythme de la nature avec ses saisons et ses terribles imprévus, ce fut longtemps aussi l’Église qui ordonne toute vie à une dimension éternelle, c’est aujourd’hui l’optimisation du profit qui prend la forme du culte de l’efficacité, de la rapidité, de l’indéfinie nouveauté et de la chasse aux « temps morts ».
Notre modernité ainsi trouve son illustration dans les exemples les plus spectaculaires de cette chasse aux temps morts. L’hyper taylorisation du travail actuel s’étend en effet peu à peu à tous les secteurs de la vie humaine : évoquons les arguments prétendument arithmétiques et d’un apparent bon sens enfantin avancés dans le débat français sur la « coûteuse » durée de la retraite ; évoquons les propositions « alléchantes » de découvrir le monde méditerranéen en 15 jours éclairés quotidiennement par les meilleurs spécialistes ou de faire en 10 jours sur les traces de Magellan le tour de la Terre de Feu ; évoquons aussi le régime d’urgence sous lequel nous vivons désormais, de l’hebdomadaire « alerte » météo au rappel de l’imminente catastrophe climatique, aussi lancinant que de peu d’effet ; évoquons enfin le désintérêt croissant pour la transmission, notamment fût-elle e simplement celle permise par l’éducation aux générations qui nous succèdent physique avec la natalité.
Chaque homme est peut-être un lapin de Lewis Carroll que la considération du temps interroge parce que la puissance de celui-ci est un défi, peut-être le défi premier de toute existence consciente d’elle-même : comment réussir à s’affirmer dans l’être, par quel usage du temps et selon quelles limites échapper à l’évanescence ? En cette recherche, que faire et que penser des mesures collectives qui, en prétendant homogénéiser et rendre consistant un monde pluriel, ne font, dans l’anxiété et souvent l’échec pour la plupart, que déposséder chacun de la seule chose qui lui soit impartie, une durée de vie ?
À l’horizon de ce questionnement initialement existentiel, la recherche sans doute métaphysique de l’être possible de l’homme comme du mode de réalité du temps lui-même. Il ne nous échappera pas cependant qu’elle entrelace l’interrogation morale portée par les vieilles sagesses antiques d’un côté – celle de la vie bonne - et de l’autre les exigences politiques d’une société accédant à l’autonomie terrestre – celles d’une appropriation commune des mesures du temps.
En cette période déroutante où le cours ordinaire de nos vies a été suspendu par des confinements successifs, méditer et philosopher sur le temps s'avère plus que nécessaire !